Le village

UNE PENSÉE DE CHAPELLE-DES-BOIS

Il est des endroits qui ont une âme. Chaque saison, nous faisons escale dans un petit village bien vivant. Cet hiver, le village se nomme Chapelle-des-Bois. Montagnard et agricole, il est réputé pour la fabrication d’un comté biologique et pour s’être lancé, dès les années 1970, dans les traces d’une pratique nordique datant de l’Antiquité et décisive dans l’exploration du Groenland: le ski de fond. Départ pour une balade comté.

Par Alexis Margowski. Photographies Léon Prost.

Amélie et James Hall, les nouveaux propriétaires de l’hôtel-restaurant Les Clochettes, ont relancé l’établissement avec enthousiasme et talent.
Bernard Deniset, ancien chasseur alpin.

Altitude : 1 090 mètres. La borne de nivellement scellée dans la pierre à la base de l’église s’oxyde pieusement dans l’immensité du ciel. Pour les 275 habitants de Chapelle-des-Bois, les hivers sont longs, impétueux, même sibériens parfois, lorsque la bise se lève. Dans cette partie du département du Doubs, les épicéas, les foyards (hêtres) et les sapins tapissent le vaste paysage de combe. Le village est classé parmi les localités les plus froides de France. D’ailleurs, à l’origine, ce village s’appelait « Champion ». Ne fallait-il pas être téméraire pour s’établir dans ces grandes forêts ? Si le déterminisme de la géographie est une réalité physique, il n’a pas été une fatalité pour ces premiers colons qui reçurent le nom de « tsampion » en patois. La vie était rude par le passé, et « ce n’était pas mieux avant » confiera Liliane Cordier, qui tient l’épicerie du village depuis vingt-quatre ans. Croq’Jura ouvre 7 jours sur 7, avec ses journaux, ses livres, le pain de quelques talentueux boulangers des alentours et les produits essentiels dont les habitants auraient besoin… À certaines heures, l’épicerie devient l’épicentre de la vie à Chapelle-des-Bois, tout le monde y passe tôt ou tard. Cette enfant du pays ne ressent que peu de nostalgie pour le passé. Le village a été l’un des derniers à être électrifié, en 1947. L’habitat dispersé et les fortes chutes de neige étaient de vrais facteurs d’isolement. Les enfants marchaient parfois 3 km dans la poudreuse pour se rendre à l’école.

QUEL DEVENIR POUR LES FERMES?

Le territoire de Chapelle-des-Bois, qui s’étend sur 40 km2, est adossé à la Suisse dans le parc naturel régional du Haut-Jura et assis sur un sol calcaire karstique. Le village fait face à une ligne de crête rocheuse entaillée d’une falaise : le Risoux. Ici, on pratique une agriculture extensive : 25 % des terres de la commune sont dédiés à la vie des vaches, aux pâturages, à l’étable, à la naissance des veaux, à leur quotidien. Chaque jour, des fromages, dont le comté, fromage au lait cru à pâte pressée et cuite, sont élaborés à la fruitière de Chapelle- des-Bois, en face de l’école. Une fruitière, c’est une fromagerie traditionnelle de montagne, une coopérative généralement, où les paysans rassemblent leur lait pour le faire fructifier en fromages. Il existe plus de 150 fruitières à comté dans le massif du Jura. Aujourd’hui, à Chapelle-des-Bois, ce sont douze éleveurs laitiers qui sont propriétaires de la société fromagère coopérative.

En sortant de la fruitière, passez devant Croq’Jura et L’Auberge de la distillerie, puis continuez un peu plus loin sur la route du Jura. Derrière la scierie des Mortes, Bernard Salvi ouvre l’étable de sa vieille ferme à 4 h 15 le matin. Comme chaque jour, dimanche inclus, il retrouve les grands corps bovins endormis dans la nuit noire pour la première des deux traites journalières. Ses 25 laitières cornées, de race montbéliarde, allongées sur le flanc dans la paille, font forte impression. Tout comme les autres sociétaires de la fruitière de Chapelle-des-Bois, Bernard Salvi apporte deux fois par jour son lait à l’atelier. Ici, pas de camion-citerne qui viendrait faire la collecte, le lait quitte les fermes dans des boules à lait en inox attelées aux véhicules du paysan, direction la fruitière. C’est le ballet des boules à lait. Audrey Salvi, 26 ans, travaille avec Bernard, son père, et veut assurer la relève quand le moment sera venu, elle qui connaît tout sur tout ici. Mais elle se pose des questions pour l’avenir. Cette ancienne ferme continuera-t-elle à fonctionner ainsi ? Ou devra-t-elle adopter de nouvelles méthodes de production standardisées ? Faut-il vraiment moderniser le bâtiment et prendre des risques financiers alors qu’Audrey a déjà la passion, la connaissance du métier et l’outil de travail ? Ce sont ces doutes qu’elle nous livre quand on la rencontre. Des doutes certainement partagés par d’autres et qui font réfléchir au devenir de ces petites fermes traditionnelles.

Retour au village en faisant une halte pour rencontrer la famille Bourgeois, qui vit à Chapelle-des-Bois depuis près de 450 ans. Dans les années 1960, « le village était en voie de disparition », explique Pierre, un retraité paysan considéré comme le père de l’agriculture bio- logique dans la région, féru de conférences et de lectures sur l’agroécologie, la décroissance et autres alternatives d’avenir… Il a été le fer de lance du mouvement bio, avec cette volonté initiale de s’astreindre à une haute exigence de qualité dans le respect de l’environnement. Ainsi, la coopérative fromagère de Chapelle-des-Bois fut l’une des premières à se convertir à l’agriculture biologique, en 1976 !

Les paysans de la commune n’emploient que les engrais naturels de la ferme, les montagnes de fumier sont compostées pour être épandues sur la terre au bon moment, lorsque les plantes et les bactéries du sol se remettent au travail à la belle saison. Le bon sens paysan, les valeurs de solidarité et leur persévérance ont porté leurs fruits puisque la paie de lait est deux fois plus élevée qu’ailleurs en France. C’est une réussite dont Élisabeth Greusard, la maire, se dit fière. Elle qui, d’ailleurs, ne peut se passer d’un verre de lait cru et froid au petit déjeuner. Chaque semaine, madame Greusard avait l’habitude de partir avec ses pots à lait pour les remplir à la fruitière située devant l’école. Enfin, ça, c’était avant la nouvelle directive européenne qui n’autorise plus le lait cru à la vente depuis le 31 octobre 2019 sans une mise aux normes coûteuse. « J’allais à la laiterie avec les pots à lait de mon enfance et ne créais ainsi aucun déchet. Les normes agroalimentaires rendent complexes des choses simples, et je refuse de boire du lait pasteurisé. On recule ! » remarque-t-elle sans colère. En sortant de la mairie, madame Greusard se dirige vers la route des pâturages, où son mari et elle tiennent le Chalet Sport, une boutique d’équipements de ski de fond.

L’hiver, les vaches rentrent à la crèche, dans la chaleur de l’étable. Après les herbes fraîches d’été, le cheptel est nourri de foin et du regain durant l’hiver. À mesure que l’air cristallise, que les prairies et les pâturages se recouvrent de neige, un deuxième chapitre s’ouvre à Chapelle- des-Bois avec une énergie nouvelle : les fondeurs, les traîneaux à chiens et autres glisseurs se mettent à arpenter les 110 km de pistes. 1971 est l’année de création de L’Accueil montagnard, une association de jeunes avérée déterminante dans l’histoire du village : son projet ambitieux était d’initier aux joies de la glisse nordique. À ses débuts, les paysans s’improvisaient moniteurs de ski avec « l’arrière-pensée qu’un peu de tourisme pouvait nous sauver », raconte Christian Burri, l’un des moteurs de l’association.

Ce deuxième élan de vie a contribué à la revitalisation de la petite économie rurale, un lieu où longtemps les anciens chuchotèrent le même adage: «Un bon hiver est un hiver sans neige.» Rendez-vous à Chapelle-des-Bois le dimanche 26 janvier à 10 heures pour la 45e édition de la course de ski de fond. Ce sera L’Envolée nordique.

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Informations pratiques

Y ALLER

En train Gare TGV de Frasne (Doubs), puis 35 min de voiture.

À FAIRE

Course de ski de fond L’Envolée nordique
Le 26 janvier 2020 à 10 h Deux parcours : 42 km et 25 km www.envoleenordique.com

Natur’Odyssée Jura. Randonnées et activités nature 0381692975/0643558999 www.nature-odyssee-jura.fr

Glisses nordiques. École de ski nordique 0381691085 www.glissesnordiques.fr

Musée Au bon vieux temps. 0645749477 aubonvieuxtemps25@yahoo.fr

Les Équipages Adam’s. Attelages et chiens de traîneaux www.lesequipagesadams.com

Fromagerie biologique. 2 place de la Fruitière 0381692091 www.fromagerie-bio.net

OÙ DORMIR

Hôtel-restaurant Les Clochettes du Risoux
0381692182 www.lesclochettesdurisoux.com

Gîte rural Les Antoines

0381692457 am.deniset@orange.fr

La Maison du Montagnon

0381692630 www.maison-montagnon.eu