Rencontre

LE SOUPER CHEZ HUGUETTE

Chez les Vern, de l’automne au printemps, mijote toujours dans l’âtre un chaudron de soupe. Dans cette ferme du Bas-Quercy, Huguette est un condensé de sagesse paysanne. Au trio qu’elle formait avec son défunt mari Roger, et leur défunt voisin et ami d’enfance Roger Blanc, guérisseur vétérinaire, j’avais donné le surnom de «gang pré-plan Marshall». Hommage à leur façon de vivre comme dans leur jeunesse: hors du temps, autonomes, et brandissant avec fierté leurs valeurs, leur culture et leur identité paysannes.

Texte et photographies Daniel de La Falaise.

Dans les communautés paysannes, la transmission de talents héréditaires, de comportements et de manières de faire à travers les lignées familiales permet le développement d’identités bien affirmées. Nous devons à des générations d’agriculture paysanne des personnages sacrés, tels que : le Père Prunier, la Dame aux Huîtres, Monsieur Alambic, Mademoiselle Miel, etc. De ce kaléidoscope de personnages émanent l’esprit, l’essence de leurs produits et la culture de leur région. Des fermiers dont le teint, l’attitude et l’énergie sont le reflet de la terre qu’ils cultivent et témoignent des heures passées en plein air, dont chaque ride raconte leur passion.
Roger et Huguette Vern se sont connus en 1942. Il avait 14 ans, elle 12. En 1945, dans l’euphorie du départ des troupes nazies, Roger transforma sa grange en salle de bal : durant près d’une décennie, à pied ou à vélo, on y vint de loin pour danser, boire un verre, jouer aux cartes et flirter. Roger et Huguette se sont mariés à l’église Saint-Michel-des-Lials, peu après la Seconde Guerre mondiale. Huguette me rappelle souvent, en me regardant droit dans les yeux avec fierté, qu’après la cérémonie, le souper festif et une courte sieste à l’ombre des ormes, ils sont tous retournés dans les champs pour travailler.


Depuis toujours, les Vern engraissent tendrement un cochon, dont la vie prend fin au mois de janvier. Pendant trois jours de travail soutenu, sous le double signe de la débrouillardise et de la convivialité, nous procédons à la fabrication des incontournables du garde-manger pour l’année à venir. Les morceaux nobles du jambon de pays, l’épaule et le lard maigre sont trempés dans une gnole maison sans appellation, puis salés. La carcasse est soigneusement grattée et nettoyée, la chair à saucisse hachée et assaisonnée. La fabrication des salamis, fromages de tête et autres pâtés va bon train. De la tête jusqu’aux pieds, tous les morceaux sont mis à réduire doucement sur le feu dans un immense chaudron de cuivre. La graisse résiduelle est filtrée, mise en pot et stérilisée. Tout est bon dans le cochon ! Les Vern, comme nombre de paysans, s’en serviront tout au long de l’année pour faire la cuisine.

Roger Vern et Roger Blanc, ami et voisin du couple, guérisseur vétérinaire, sont récemment décédés, à six mois d’écart. Huguette, la doyenne, a 88 ans. Elle règne toujours, généreuse, indépendante et sereine. Sa fille et son gendre passent la voir. Ses petits-enfants et arrière-petits-enfants aussi quand ils peuvent, et ils repartent les paniers pleins. Dès que je le peux, je frappe moi aussi à sa porte. J’emmène mon jeune fils Louis, nous faisons le tour du potager, passons saluer les poules et bavardons au coin du feu.

Quand Huguette est arrivée en 1942 — évacuée de Montauban pour éviter les Allemands —, sa famille s’est installée au Tibas, la ferme que j’habite aujourd’hui. On parle des arbres qui n’y sont plus, des bois arrachés lors du remembrement où l’on trouvait des cèpes grands comme des lièvres, de puits, de récoltes, de châtaignes, de cresson dans les ruisseaux, de potagers, de marchés hebdomadaires…

Roger et Huguette étaient maraîchers pendant plus de soixante ans, ils faisaient trois marchés par semaine, jusqu’à la mort de Roger. Ils ont connu tout un monde du Bas-Quercy. Ils ont été aimés par toutes et tous. Leurs tomates furent légendaires. Huguette Vern me raconte ses histoires d’autrefois. De temps à autre, elle m’invite à venir souper. La semaine dernière, cela fut un festin.

Le Souper

APÉRITIF

Guignolet maison

SOUPE

La Soupe de Pain (une louche de bouillon versée sur pain sec). Faire Chabròl, Fà Chabroù

PLAT

Cèpes cueillis par Mme Vern Persillade du potager Saucisse grillée (cochon maison)
Vin maison

DESSERT

Flan au Caramel (œufs de poule maison) Eau-de-Vie maison