Nichée depuis 1815 dans les petites rues du vieux Marseille, l’herboristerie du Père Blaize est une institution de la cité phocéenne. Aucun Marseillais n’ignore cette enseigne emblématique. À tel point que s’ils apprenaient que le métier d’herboriste est illégal en France ou qu’il n’existe aucune formation reconnue par l’État, ils ne manqueraient pas de vous traiter «d’exagérateur» avec la justesse de cet accent franc et direct. En effet, malgré un intérêt grandissant des Français pour se soigner grâce aux plantes, l’herboristerie souffre grandement de sa législation contraignante et paradoxale.
Pour en savoir plus, Regain est allé à la rencontre de Cyril Coulard, aujourd’hui pharmacien en chef au Père Blaize.
Par Emma Bruschi. Photographies Jean Bruschi.
Racines de rhubarbe, romarin provençal, feuilles de plantain, salsepareille rouge, nigelle, arbousier, prêle… autant de noms inscrits sur les innombrables tiroirs muraux derrière les comptoirs de l’herboristerie du Père Blaize. Toussaint de son prénom, guérisseur de métier, s’est installé dans cette petite rue improbable et étroite il y a plus de deux cents ans car elle était proche du port de commerce. Ainsi, il avait accès aux plantes en provenance des quatre coins du monde. Son amour pour une belle Marseillaise l’avait aussi convaincu de venir s’y installer. Depuis, six générations se sont succédé derriere le comptoir, toujours au sein de la famille. Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de successeur… Pour Cyril Coulard, diplômé en pharmacie, cette herboristerie représentait plus qu’un rêve. Alors, quand il a appris que la maison cherchait un repreneur, c’était une évidence : « La Terre s’est arrêtée de tourner, j’ai appris ça un mercredi soir à minuit, le jeudi matin à 7 heures j’étais devant la porte pour les rencontrer.» La famille décide de faire confiance à cet enfant d’agriculteur. Passionné de nature, Cyril vit en plein centre-ville mais a installé sur son toit une serre, quelques poules de races anciennes et même un jardin suspendu où il fait de la permaculture et de l’aquaponie. À son arrivée, Cyril a souhaité garder les traditions et l’essence de la maison en les mettant en valeur, comme il le dit lui-même : « J’ai juste allumé la lumière.» Aujourd’hui devenu une pharmacie-herboristerie, on trouve chez le Père Blaize plus de 1000 plantes différentes et sous toutes leurs formes : vrac, poudre, huile essentielle, teinture mère, huile végétale, gélule… On y vient pour se soigner mais aussi pour être guidé personnellement, avec un service sur mesure. Ils proposent des remèdes personnalisés préparés sur place, dans leur laboratoire, qui répondent aux ordonnances des médecins. Spécialisés en tisanes, ils ont ouvert en 2016 une tisanerie en face de la pharmacie où l’on peut venir déguster les incontournables de la maison. Leur devise : « La médecine soigne, la nature guérit.» Car après avoir obtenu son doctorat en pharmacie, Cyril était arrivé à cette conclusion : « Plus je connais les médicaments, moins j’ai envie d’en prendre, moins j’ai envie d’en vendre.» Il cherche alors une manière différente d’exercer son métier où il pourrait renouer avec ses racines, privilégier une approche humaine de ses patients tout en leur conseillant des produits de qualité. Il se spécialise et se forme sur les plantes de manière totalement autodidacte. Car dans la formation classique en pharmacie, le soin par les plantes (phytothérapie) n’est que succinctement abordé, seulement sous l’angle de quelques notions de botanique et de classification. Nous rencontrons là l’un des premiers paradoxes. Aujourd’hui n’ont le droit d’exercer l’herboristerie que les pharmaciens qui exercent au sein d’une officine, alors que leur formation n’est pas complète ni approfondie dans ce domaine.
UNE RÉGLEMENTATION ABERRANTE
Il existait encore 4500 certifiés en herboristerie pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est sous le régime de Vichy, en 1941, que le maréchal Pétain, sous pression du Conseil de l’ordre des pharmaciens, décide de supprimer ce diplôme. Cette décision entraînera petit à petit la disparition de ce métier et favorisera le monopole de l’industrie pharmaceutique sur les plantes médicinales. Depuis, beaucoup de conflits ont eu lieu entre les pharmaciens et les herboristes pour assouplir ces règles. En 2008, ces derniers obtiennent la vente libre d’une liste de 148 plantes, cependant ils ne peuvent pas écrire et communiquer les bienfaits qu’elles ont sur la santé. Ainsi, il n’est pas permis d’écrire sur un emballage de tisane de thym que la plante est efficace contre le mal de gorge sous peine d’exercice illégal de la pharmacie. Pour cette information, que toutes les grands- mères connaissent et qui circule librement sur Internet, on risque jusqu’à 15000 euros d’amende et cinq ans de prison… Cyril est d’ailleurs intervenu plusieurs fois dans ces débats, par exemple en 2018 dans le cadre de la commission rapportée par Joël Labbé (sénateur d’Europe Écologie Les Verts dans le Morbihan) pour que la réglementation sur la phytothérapie évolue. Une situation qui progresse doucement vers le positif mais est encore ralentie par des positions verrouillées.
UN MANQUE DE RECONNAISSANCE
On pourrait croire que la vente de plantes médicinales est aisée pour un pharmacien herboriste. Mais les contrôles législatifs sont stricts, et surtout coûteux. Chaque lot de plantes doit être analysé avec des tests et des machines aux prix si exorbitants qu’ils doivent être externalisés. Cette situation empêche souvent de collaborer avec de petits producteurs locaux : le coût des analyses serait beaucoup plus élevé que celui du lot de plantes. Malgré tout, Cyril Coulard essaie, dans la mesure du possible, de travailler avec des producteurs locaux, notamment en Provence, riche en plantes médicinales et aromatiques. L’ancrage d’une vieille herboristerie dans le vieux centre historique de Marseille n’est pas simple non plus. Comme dans beaucoup de villes, le centre souffre de sa désertification. Nous sommes à deux pas des deux immeubles effondrés de la rue d’Aubagne. Pas question cependant de trahir une tradition séculaire. Cette herboristerie s’accroche à cette ville comme le nom des tisanes s’accroche à ses histoires : Tisane Bonneveine ou encore Tisane Boulevard Baille… Pour Cyril, il est vital de conserver le côté populaire de son herboristerie, dans laquelle toutes les classes sociales de Marseille se croisent. Augmenter les prix priverait l’accès aux plantes à de nombreuses personnes. D’autant plus que le soin par les plantes n’est plus remboursé par la sécurité sociale. C’est en 1989 qu’à été votée la loi sur le déremboursement de la phytothérapie, jugée inefficace alors que près de deux tiers des médicaments ont un composant d’origine végétale…
UN SECTEUR D’AVENIR
Selon Cyril, la France aurait grand besoin d’un diplôme d’herboristerie reconnu, à l’instar de la Suisse par exemple, qui permettrait de sortir de ce flou juridique et protégerait le consommateur de conseils parfois farfelus prodigués en la matière. Pour lui, le rôle du pharmacien herboriste est de « faire le lien entre le patient, ses pathologies et ses médicaments, ce qui sous-entend de bien connaître les pathologies, donc d’avoir une formation médicale, mais de surveiller aussi les contre-indications le cas échéant ». Il serait envisageable aussi de vérifier la qualité des cultures directement à la source, chez les agriculteurs notamment, grâce à l’adhésion au « syndicat des simples », regroupant des professionnels de la cueillette d’herbes médicinales par exemple. On pourrait alors voir le métier d’herboriste prendre un second souffle, en complémentarité avec les médicaments conventionnels. Car de plus en plus de gens se passionnent et se reconvertissent pour exercer ce métier. Un secteur en pleine effervescence qui pourrait créer de nouveaux emplois et développer la culture des plantes médicinales en France. Médecins, pharmaciens, agriculteurs, consommateurs, tous semblent être ouverts à cette évolution vers la reconnaissance d’un nouveau métier, celui du Père Blaize: herboriste.