Couette en alpaga. Enveloppe: 100% coton. Garnissage: 100% alpaga (400g/m2). Fabriquée à la main en Pologne. Entretien: aérée fréquemment, votre couette préservera sa propreté et sa fraîcheur. Ne pas laver à l’eau, la laine risquerait de feutrer, provoquant des dommages irréversibles. Nettoyage à sec léger. À basse température seulement si nécessaire.
Texte et photographies par Frankie & Nikki.
Vrai qu’une couette en alpaga se traite avec délicatesse, surtout quand on voit le temps et les connaissances nécessaires pour la confectionner. C’est en 2015 que David, Charles et Paul se lancent dans cette aventure. Presque partie d’une blague, la jeune entreprise – Le Chardon – est loin d’être là pour se marrer. Tout juste trentenaires, ces amis de longue date cultivent leur patience et acquièrent au fil des années une expertise et un savoir-faire. Si ce n’était pas dans l’alpaga qu’ils s’étaient lancés, ça aurait été dans la dentelle. Des chirurgiens, les gars.
Basse-Silésie. Pologne. Il fait déjà nuit quand nous traversons l’allée principale. À cette période de l’année, le soleil ne s’éternise pas. À peine avons-nous coupé le moteur de la voiture que Zygmunt, une veste de groom sur le dos, s’empresse de nous soulager de nos sacs. La pluie joue du clavecin sur le gravier parfaitement peigné. Charles, sur le perron, nous salue et nous invite à le suivre dans un couloir large comme un terrain de tennis. Direction le grand salon. Ses parents font l’acquisition de ce manoir quelques années après la chute du communisme. Soyons précis : en 1997. Avant ça, la propriété servait de ferme coopérative, ce qu’on appelait à l’époque un kolkhoze. Le tas de ruines stimule les synapses du comte Ghislain de Nicolay et de son épouse Elizabeth. Le chantier d’une vie. Depuis maintenant sept ans, c’est leur fils Charles qui y vit en maître des lieux. Nous retrouvons les trois associés au coin du feu. Le temps de boire un verre de vin et d’avaler quelques toasts, et nous voilà à chercher notre pointure sur l’étagère de bottes réservées aux invités. Comme tous les soirs, Artur, préposé aux bêtes, va nourrir les alpagas. Charles le prévient que nous allons sûrement déjà faire quelques photos. Massif et coquet, il aurait préféré être prévenu. Le lendemain, il sera rasé de près. L’enclos se trouve à une centaine de mètres de la noble bâtisse. On découvre les alpagas dans le faisceau lumineux des lampes torches. Les femelles d’un côté. Les mâles de l’autre. Artur remplit les mangeoires de compléments alimentaires, oligoéléments indispensables à leur équilibre. Comme ses cousins lama, vigogne et guanaco, ce camélidé est originaire d’Amérique du Sud. Plus précisément des hauts plateaux andins – entre 3 500 m et 4 500 m d’altitude. Domestiqué par l’homme il y a plus de 4 000 ans, sa laine était considérée par les Incas comme la fibre des dieux. Paul nous tend une poignée des fameuses granules, ce qui nous permet d’être approchés par les moins farouches. Leurs lèvres et leurs naseaux brûlants réchauffent nos mains. « Il faut passer du temps avec eux pour gagner leur confiance. » Les alpagas sont décrits comme des bêtes sociables et curieuses. Leurs visages ne laissent pas indifférents. Des ewoks à long cou. Étrange même que DreamWorks ou Disney n’aient pas encore casté de si singulières bestioles. Nous croisons leurs regards avec cette impression étrange d’avoir de vraies personnes en face de soi, à deux doigts de s’entendre dire : « On se connaît, non ? »
C’est en Pologne que David, Charles et Paul achètent leurs premiers alpagas, des huacayas – la race la plus répandue. Ils auraient pu en faire venir d’Amérique du Sud, mais la prise de risque était trop importante. «Après le voyage en avion, les alpagas doivent passer par Amsterdam, où ils sont mis en quarantaine. Ensuite, c’est en camion qu’ils finissent le voyage. On a voulu éviter ça. Ces animaux sont extrêmement sensibles à leur environnement. Quand tu les déplaces d’une prairie à l’autre, ils ont déjà beaucoup de mal à s’adapter, alors si tu les changes de climat et de continent, c’est une autre affaire.»
Ils commencent leur élevage avec une quinzaine de bêtes, contre une cinquantaine aujourd’hui, grâce uniquement à la reproduction naturelle. L’insémination artificielle n’existe pas chez les alpagas (la femelle a une ovulation spontanée produite par la seule stimulation du mâle, ndlr) « Ici, personne ne connaissait rien à cette histoire, ni même le vétérinaire du coin. On a dû réfléchir tous ensemble et mettre en place nos propres techniques.» Leur méthode, ils la baptisent du nom du village : « krzeczynienne ». Elle consiste à choisir le meilleur mâle, celui dont la laine est la plus belle, et de le laisser avec les femelles. Cette année, ça sera Dante. « Quand tu commences dans l’élevage d’alpagas, tu te rends compte qu’il n’y a pas beaucoup de littérature sur le sujet. Y’a quelques bouquins. Tout est en espagnol. En tout cas les livres les plus sérieux. C’est compliqué de savoir. C’est pas comme pour le mouton, où tu fais un stage chez un éleveur.»
Chaque année au printemps – avant l’arrivée des fortes chaleurs –, les alpagas sont tondus. C’est la seule étape que Le Chardon externalise. Indolore, la tonte ne dure que quelques minutes. On compte trois catégories de laine selon les zones : le dos – catégorie 1 – et les ancs – catégorie 2 – sont très prisés, car c’est à cet endroit que la fibre est la plus douce et soyeuse. Sur les pattes et le ventre – catégorie 3 –, la laine est plus dure à peigner. Chaque alpaga fournira en moyenne entre trois et quatre kilos de laine par an.
Comme tous les jours de la semaine, Charles tient à être le premier en piste avant l’arrivée du personnel. Après des études de commerce, il disparaît pendant deux années dans les Pyrénées pour faire du wwoofing (aider à la ferme contre le gîte et le couvert, ndlr). C’est convaincu de sa vocation, l’agriculture, qu’il décide de revenir sur ses terres en Pologne.
Pour rejoindre la salle de traitement de la laine, il nous faut traverser la menuiserie. Quatre gaillards nous saluent, accompagnant leur accueil de poignées de main qu’il faut savoir anticiper. Paul nous fait faire le tour du propriétaire. En charge de l’image de la société, il connaît le moindre détail de la chaîne de production. On prend beaucoup de plaisir à l’écouter. C’est ici que la laine est nettoyée. Une première machine, sorte de tambour fabriqué par leurs soins, évacue la poussière. L’étape suivante consiste à enlever les herbes et autres brindilles. Munies d’énormes ciseaux, Grażyna et Grażyna retirent ce qu’on appelle la croûte. Les deux femmes partagent leur temps entre le manoir et la hala – la manufacture située à Lubin, à quelques kilomètres de là. La laine va passer dans différents bains et être lavée avec des savons naturels avant d’être suspendue dans des filets. 100 % naturelle, elle ne subit aucun traitement chimique. Une fois sèche, il faut la passer dans une cardeuse. Cette machine, c’est le nerf de la guerre. Ils ont mis un temps fou à la trouver. Dotée de mille aiguilles, elle peigne les fibres dans le même sens pour rendre la laine aérienne. Pour la petite histoire, les Romains seront les premiers à utiliser le chardon dans l’artisanat textile. Il servira jusqu’au XVIIIe siècle dans les cardeuses à chardons, qui lui empruntent également son étymologie. L’or blanc une fois pesé sera stocké dans des sacs et transporté à la hala.
Hala. Lubin. C’est ici que les différents ateliers seront centralisés d’ici à quelques mois. La radio passe des tubes polonais. On retrouve Grażyna et Grażyna, qui s’occupent cette fois de la confection des couettes. De la matelasseuse à la surjeteuse, aucune machine ne leur résiste. C’est David qui leur a tout appris. «Aujourd’hui, elles en savent plus que moi, c’est gratifiant.» Des étiquettes à l’emballage, toutes les finitions se font à la main : « J’ai appris de A à Z à faire une couette. J’ai imaginé un modèle en m’inspirant à droite à gauche. Je n’ai jamais fait d’école de couture, mais le textile m’a toujours intéressé.» Prêtes en mars dernier, les couettes Le Chardon sont commercialisées depuis septembre.
Nous profitons de la fin de journée pour passer un dernier moment avec les alpagas. Le soleil descend doucement pour venir se planquer derrière une ligne d’arbres. Plus haut, la charpente d’un nouvel abri se dessine. L’ancien commence à être trop petit. Il y en a qui rénovent de la vieille pierre toute une vie, d’autres qui se lancent dans l’impensable, produire de la laine d’alpaga. Leur folie force notre respect. David, Charles et Paul ne comptent pas s’arrêter là. D’ici à quelques années, ils espèrent pouvoir filer la laine. Vu leur opiniâtreté, il est sûr que ça ne va pas tarder.