De jeunes architectes ont fait le choix d’ancrer leurs agences dans le rural. Marion Pinet et Pierre Pollet se sont installés en 2017 à Larnagol dans le Lot, tandis que Delphine Roque s’est établie l’année dernière à Faugères, dans l’Hérault. Ensemble, ils réfléchissent à des dispositifs pour redynamiser le bâti des centres anciens, convaincus que le choix
du village est plus que jamais d’actualité.

Par Delphine Roque et Pollet Pinet architectes. Photographies Christophe Rihet.


À gauche : le village de Larnagol depuis la terrasse du maire. Ci-dessous, de g. à d. : Pierre Pollet, Marion Pinet et Delphine Roque, en surplomb de la vallée du Lot.

Certains ont acheté une maison en passant un jour. Coup de cœur, ça ne coûtait rien ! Ils ont fait quelques travaux pour s’approprier l’endroit, ils ont gardé le carrelage ancien qui était intact. Il n’y avait pas de jardin, ils ont fait une terrasse sur le toit avec une vue panoramique sur le paysage bâti. Ils ont les derniers rayons de soleil. D’autres ont racheté une vieille grange 12 000 euros, rénovée pour 150 0 0 0 euros, moins cher que de faire construire. Profitant de la mise en place par l’État de sa TVA à 0 % pour les travaux de rénovation des bâtiments situés dans les bourgs, ils ont investi d’abord une, puis deux pièces. La maison évolue avec leurs besoins, elle mettra des années, peut-être des générations à être pleinement exploitée.
Mais l’ancienneté ne fait pas la valeur, certains ont construit du neuf, en cœur de village ! Cette parcelle dont personne ne voulait, étroite de cinq mètres entre deux murs existants, a réussi à combler le désir de construire de ce jeune couple. Enfin, certains ont loué un appartement dans le presbytère, un peu pour l’opportunité de travail dans la commune voisine, un peu pour tenter l’expérience. Ils verront si ça leur plaît la vie de village. Ils ont hésité, au début ils voulaient acheter un terrain, s’installer hors du village, plus proche de la nature. Construire une maison avec jardin et garage. Mais ça n’a pas duré longtemps. Ce qu’ils désiraient vraiment, c’était de faire renaître cette façade fièrement dressée dans la rue principale. Et essayer de composer leur propre espace avec ce qui est déjà là. Depuis qu’ils habitent ici, ils ont commencé à s’engager un peu plus, à devenir moins anonymes. Ce qu’ils aiment, c’est le sentiment d’appartenance à un lieu, c’est l’esprit d’entraide, renforcé par l’éloignement géographique et le nombre réduit d’habitants, qui fait que chacun se connaît. Avant, en hiver, les journées étaient longues, il ne se passait pas grand-chose. Puis des murs ont été repris, cimentant ce sentiment de communauté. Sur la place, trois platanes supplantent les voitures. Des ralentisseurs, des bancs et un kiosque ont poussé, il en faut peu pour qu’elle revive. Au restaurant on croise les vacanciers, les retraités, les actifs, les acteurs associatifs, les touristes, et de temps en temps de nouveaux arrivants. On ne se connaît pas très bien mais on est familier, un « bonjour comment allez-vous ? il fait un beau temps ne trouvez-vous pas ? », un signe de tête pour celui que l’on sait en deuil, un grand sourire pour celui qui vient d’avoir un petit. La communauté, c’est ceux qui ont cette terre en partage. Ce morceau d’espace où chacun projette ses rêves et dont les actes de l’un ont un impact sur la vie de l’autre.

MADE IN COUNTRYSIDE

Le village n’est ni laid ni beau, mais il a ses particularités. Et depuis peu, sa propre économie. Il est vivant parce qu’il est redevenu un site de production. Les anciens potagers ont été réinvestis par des maraîchers. À la Mairie, dans une des salles de l’étage vide depuis dix ans, trois nouveaux entrepreneurs ont installé leurs bureaux. Au rez-de-chaussée, la matériauthèque communale a ouvert ses portes aux villageois d’ici et d’à côté. Elle présente des matériaux de construction disponibles aux alentours, extraits ou produits à moins de deux cents kilomètres de leur lieu de vie. Cet espace stimule les besoins de chacun pour rénover ou agrandir sa maison. Avec la mise en œuvre du chanvre, un savoir-faire s’est développé. Certains ont même créé des meubles. L’entreprise emploie cinq personnes et plusieurs hectares sont désormais cultivés aux abords de la commune. Le plus important, c’est qu’un rapport direct est tressé entre le matériau et ceux qui l’habitent. Au-delà du fait que l’énergie grise est réduite dans le transport des matières premières, c’est la communauté qu’il touche. Certains ont eux-mêmes trouvé les pierres, d’autres verront grandir l’arbre planté qui fournira la charpente à leurs enfants, les plus forts aideront à la moisson. Approuvé récemment, le Plan local d’urbanisme (PLU) de la commune facilite d’ailleurs une utilisation raisonnée des terres jouxtant le village. En plus d’éloigner les habitations de l’épandage des pesticides, il prévoit la suppression progressive des zones constructibles situées en dehors du Bourg. Ici, s’en est sûrement fini du gaspillage d’hectares cultivables. Tout le monde s’accorde à dire qu’il y a assez à faire de l’intérieur.

Où est ce village ? En plaine, dans une vallée, sur un causse, accroché à une colline ? Il se situe quelque part entre utopie réaliste et désir profond de renaissance. Il abrite une société rurale en passe de devenir pionnière sur de nombreux sujets, qu’ils soient liés à l’agriculture, au bâtiment, à l’énergie, et plus largement à la place de l’homme dans son écosystème. C’est l’histoire de ceux qui auraient su se saisir simplement de cette matrice préexistante et réaliser cette économie de matière disponible et précieuse face aux enjeux écologiques. Mais ce village n’existe pas. Ou pas encore.

De l’autre côté de la rivière, la commune voisine connaît une tout autre réalité. Son histoire est simple. Un cœur qui se meurt, des habitants en exode vers les métropoles et une campagne environnante grignotée par une urbanisation éparse portant en elle un drame à venir. On le sait, et malgré tout cela continue. Chaque année, en France, 60 000 hectares sont artificialisés. C’est l’équivalent d’un département coulé sous le bitume tous les dix ans. Partout le même enchaînement, partout les mêmes stigmates : nœuds routiers, lotissements, puis la grosse caisse commerciale sortie de terre qui donne rythme à l’ensemble. Sous terre, des kilomètres de réseaux à dérouler. Et dans les bureaux les mêmes justifications politiques au développement urbain. Comment en est-on arrivé là ?

LA BRÛLURE DU GOUDRON

Le coup d’envoi est lancé par Olivier Guichard en 1973 dans une circulaire mettant fin à vingt années de politique de grands ensembles. Désormais, place au rêve pavillonnaire ! C’est ainsi que des premières maisons Phénix aux pavillons « Borloo » et « Boutin » hier et aux « Maisons Partout » aujourd’hui, l’offre ne cessera à travers chaque gouvernement successif de se développer et de s’étoffer, contre nature, et offrant jusqu’à 30 % parfois 40 % de marge brute aux constructeurs, entend-on dire. 350000 Français vivent sous des lignes à haute tension. Cinq millions en zone inondable. On lit des gros titres tels que « La France est devenue moche ». Mais est-ce cela le plus grave ? Sans alternative, comment refuser à une famille le rêve de cette maison que l’on choisit dans ce catalogue à la communication piégeuse, que l’on personnalise à l’infini sur le papier, et que l’on jure disponible en un clin d’œil ? Comment interdire à un agriculteur proche de la retraite de céder ses terres à un promoteur qui lui en offre dix à vingt fois plus qu’un jeune confrère ? Qu’avons-nous de mieux à proposer ? Les solutions sont trop discrètes, ainsi l’histoire se répète-t-elle. Une puis deux puis dix maisons se construisent en dehors du bourg, entraînant l’abandon, la décrépitude, la décalcification puis la ruine progressive du tissu ancien. Le prix de l’immobilier s’effondre. La situation est figée. Une nouvelle problématique s’ajoutera bientôt. En 1980, un ministre prévenait déjà « Ils croient acquérir un coin de paradis, ils achètent aussi l’enfer à crédit.» Ces maisons sur catalogue seront pour la plupart inrevendables. Les techniques de construction et les matériaux employés ne permettent ni leur entretien ni leur rénovation ni leur transformation ni leur recyclage. Un drame social, économique et écologique qui frappe à notre porte et dont presque aucun professionnel ne parle. Mais que ferons-nous de ces millions de maisons dans quelques années ? Et que restera-t-il à ces propriétaires ? C’est en ce sens qu’il est urgent d’envisager une alternative de vie « à la campagne ».

OSER LA ZRR

Lorsque nous nous sommes installés dans nos villages respectifs, des locaux avisés nous ont avertis avec bienveillance : « Vous êtes architectes, vous êtes jeunes, pourquoi ne pas vous faire construire une maison plutôt que d’aller vous perdre dans le bourg ? Vous savez, l’hiver y est morne, la brume s’accroche. Autour, les terrains ne manquent pas et au moins vous êtes sûrs d’avoir du soleil toute l’année. En plus, vous aurez une maison à votre goût ! Elles sont sombres et humides ici, c’est bien l’été quand il fait chaud, mais l’hiver… L’hiver c’est autre chose.» Ces propos ne sortent pas de la bouche des anciens. Ces arguments, nous les avons reçus de la part de trentenaires ayant grandi dans ces mêmes campagnes ou encore de quinquagénaires actifs récemment installés et ayant fait le choix du « hors-bourg », du neuf, d’une forme d’individualité matérialisée par la non-mitoyenneté de leurs murs. Nous avons souvent rétorqué à ces réactions quelque peu dubitatives quant à notre choix de vie en ZRR (acronyme à la teinte blafarde de « zone de revitalisation rurale ») qu’il nous paraissait inconcevable, en tant qu’architectes, mais avant tout en tant que « jeunes », de poser nos valises à côté du problème et d’en être spectateurs. Nous avons réinvesti des mètres carrés de pierre, de bois et de terre laissés pour compte, intimement persuadés que ces endroits donneraient une épaisseur supplémentaire à notre existence quotidienne et à notre travail.

SOUTENIR LES VILLAGEOIS

C’est vrai, investir un bâtiment existant demande un effort supplémentaire de projection en comparaison du monde « clés en main » et résolument moderne qu’impose le catalogue des constructeurs de maisons individuelles. Construire sur une petite parcelle de village, sur « une dent creuse » comme on dit, ou un vide laissé par un concours de circonstances, entre deux constructions, en surrélévation, avec des contraintes topographiques ou d’apport de lumière naturelle, de réglementations en tout genre demandent aussi de s’impliquer davantage, et parfois un peu plus de temps.

Pourtant, au-delà de la nécessité écologique, la satisfaction d’investir ces lieux est immense. Ils sont humains. Cet effort dont nous parlons doit être largement soutenu et accompagné par les acteurs politiques, associatifs et professionnels, ce de manière urgente. Déjà, au sein de certains villages, cette volonté se traduit par des actions concrètes et efficaces. Nous pensons au travail de l’association Avenir Radieux qui met gratuitement à disposition des habitants ou nouveaux arrivants un architecte. Son objectif est clair, revivifier le bourg de Pesmes en Bourgogne. Chaque village devrait avoir droit à ce genre de service !

Dans nos communes, Larnagol et Faugères, nous voulons mettre en place un système similaire, axé non seulement sur l’aide à la conception architecturale ou la constitution des dossiers de permis de construire pour les projets situés en cœur de village, mais également sur le soutien technique des personnes effectuant eux-mêmes leurs travaux ou souhaitant orienter leurs entreprises vers des choix constructifs plus écologiques et locaux. Ce soutien a pour objectif une meilleure connaissance et une plus juste appréciation des produits du bâtiment. Car si la problématique est la même que dans l’alimentation, la prise de conscience n’a pas encore eu lieu. Privés d’informations et de connaissances sur les possibilités qui s’offrent à eux en termes de matériaux et de savoir-faire, les particuliers subissent pour la plupart le choix de l’entreprise ou du revendeur Brico du coin. Ces matériaux, nous les respirons, nous les touchons, nous sommes quotidiennement à leur contact et pourtant nous ne les choisissons pas. C’est le marché qui fait ce choix, à notre place. Pour pallier ce problème, nous tentons de construire un lieu dédié à l’information. Une matériauthèque communale présentera les ressources disponibles localement ainsi que des matériaux novateurs par leur capacité à introduire l’humain et l’environnement dans leur chaîne de production et de commercialisation. Pour renseigner sur les opportunités dont ces villages sont riches, un outil graphique accessible et participatif est à l’étude.

Ces dispositifs, dont d’autres sont en cours de réflexion, ont pour vocation de soutenir l’effort de réinvestissement des bourgs, de participer à vaincre l’idée préconçue qu’une maison de village serait dénuée des qualités d’une maison en lotissement, mais aussi de révéler les potentialités qu’offrent ces paysages bâtis prêts à renaître. Certains pourront être déployés sur d’autres territoires. Comme le dit l’architecte Paul Chemetov, « il faut se montrer capable de réveiller ce qu’il y a de présent dans le passé ». Tout est là, c’est un enjeu et c’est un devoir.