Des hérissons qui inspirent l’armée romaine. Un garde-champêtre et son musée varois, des poussins masqués et des champignons qui parlent, de la lavande et du lavandin. Des rocs, des pics, des caps et du théâtre populaire. Des co-fermentations de pommes, de poires, de coings et de raisins. La maison d’un poète, le poète d’une maison. Une championne de ski et son fromage à croûte persillée. Des carrières de champignons, un village du Morvan et un camion de coiffure. L’auberge du père et de l’oncle mais aussi d’autres adresses à visiter. De quoi faire des bouquets, des digestifs, des infusions et même de quoi se fabriquer une cuillère en bois. Cet automne, sous un soleil refroidi, Regain recueille ce qu’il a semé : poésie, gourmandise et solidarité.
Tous les ans, pendant quatre mois, les frères von Siebenthal montent dans les alpages pour s’occuper d’un troupeau de chèvres et produire du fromage. Une vie de labeur et de sobriété. Par Victor Coutard. Photographies Paul Lehr.
À 1667 mètres d’altitude, Jakob et Mathis von Siebenthal font des semaines de 135 heures. Chaque jour, ils commencent à travailler aux aurores et finissent leur journée au crépuscule. La première traite doit être effectuée à 5 heures, la dernière se termine, si tout se passe bien, vers 19 heures. Puis il faut encore compter une heure pour tout nettoyer, retourner les fromages de la veille et accompagner les chèvres sur leur parcelle de nuit. 5h-20h, 15 heures par jour, 135 heures par semaine. Et ça ne s’arrête jamais pendant les quatre mois que dure la saison des alpages. Pas de jours de repos, pas de vacances ni même de congés maladies. Lors de notre visite, Mathis avait attrapé froid mais n’était pas exempté de ses tâches, à savoir les deux traites et la surveillance des animaux sur des alpages d’altitude battues par les vents.
L’impuissance de manger beaucoup
Depuis Zurich, nous avons pris le train pour la ville de Coire où nous devions prendre une voiture pour grimper dans les montagnes du canton des Grisons et plus précisément dans la vallée de Lumnezia jusqu’au village de Puzzatschs. À cause d’un micmac de communication, nous nous sommes rendu compte ne pas avoir effectué de réservation de voiture et les prix prohibitifs proposés par les agences de location nous poussèrent à trouver une solution alternative. Un bretzel, un train, un bus et deux heures de marche sur des sentiers de randonnée de haute montagne plus tard, nous arrivions enfin en vue de Parvalsauns, le chalet où Jakob et Mathis font la saison. Assoiffés par tant d’efforts, nous nous réjouissions d’avance de trouver chez nos deux amis allemands la bonne bière fraîche dont nous rêvions. En lieu et place nous nous vîmes proposer un verre d’eau fraîche ou de lait de chèvre. Mathis ne boit pas d’alcool et, quand il est ici, Jakob non plus. “Si je bois je m’endors” explique ce dernier.
À Puzzatsch, au chalet Parvalsauns, on ne boit pas, on ne fume pas, on saute les déjeuners, on mange très peu de viande, très peu de sucre, on ne capte pas internet, on est trop fatigué pour lire et, pour tout dire, on ne baise pas tous les quatre matins. À 21 heures tout le monde est au lit, à 4h30, quand sonne le réveil, on va à l’essentiel et on évite de trop se parler. Ici, loin du village et au cœur de la vallée, on vit en autarcie au rythme des bêtes et des fromages, on subit la météo, on ne compte pas ses efforts. “La sobriété est l’amour de la santé, ou l’impuissance de manger beaucoup ” écrivait La Rochefoucauld dans ces Maximes. Jakob et Mathis ne sont ni des grincheux, ni des apôtres de la continence. Quand on leur prépare un petit salé, ils en mangent avec appétit, quand on ouvre une bière, Jakob se sert un bon demi, le boit avec joie puis lâche un râle de plaisir. Mais d’ordinaire, quand ils sont ici dans les alpages, Jakob et Mathis n’ont plus le temps, plus l’énergie nécessaire pour les plaisirs sensibles. La montagne et les bêtes apprennent la sobriété à l’esprit, comme au corps.
Pas une horloge suisse
À Puzzatsch, chaque jour est réglé comme une horloge mais pas forcément comme une horloge suisse tant sont nombreux impondérables et imprévus. Il y a les animaux malades et les fugueurs, le matériel revêche, les orages soudains, les visiteurs en quête de fromage. Le réveil sonne donc vers 4H30, le temps d’enfiler un pull et des chaussures de montagne. Mathis part chercher les chèvres, puis les regroupe près de la salle de traite. Pendant ce temps, Jakob démarre un feu de bois sous le chauffe-eau dont la vapeur servira à faire monter en température le lait du jour. Les deux frères préparent ensuite les pots trayeurs et branchent ce qui doit l’être là où ça doit l’être. Les chèvres entrent dans l’étable par groupe de tente, passent leur tête dans le cornadis et se régalent d’un mélange de céréales pendant la traite. Les premiers jets de lait, impropres à la consommation, sont tirés à la main et récupérés dans une bouteille à bec évasé qui rappelle les trompettes pour asthmatiques. Chaque animal donne environ un litre de lait, il y a 130 chèvres. La traite prend deux bonnes heures au son des “tschi-tschi” des trayeuses et dans les effluves de foin, de chèvres et de crème. Puis enfin, il faudra nettoyer le bâtiment comme les instruments. Nettoyer, briquer, astiquer représente une majeure partie du temps de travail quand on veut bien faire du fromage.
Hormis les deux traites journalières qu’ils réalisent ensemble, Jakob et Mathis se répartissent les rôles et alternent tous les dix jours. Pour le dire simplement, l’un s’occupe des fromages quand l’autre s’occupe des chèvres. La semaine de notre venue, Jakob passait la journée à la fromagerie et Mathis dans les alpages. Les deux frères vivent ainsi pendant quatre mois dans l’intimité d’un chalet de haute montagne totalement isolé du reste du monde sans pour autant vivre une cohabitation fusionnelle. Le matin, à peine réveillés, ils s’activent en salle de traite, puis ils passent la journée à deux endroits différents de la vallée et ne se retrouvent le soir que pour effectuer la seconde traite. Accablés de fatigue, ils n’ont finalement que le dîner pour être vraiment ensemble et, très vite, il faut aller au lit. “On dort tellement bien après une journée de travail qu’on se lève avec la satisfaction de savoir que le soir on ira se coucher” rigole Jakob.
250 grammes de graines
Vers 6h30, les premiers rayons de soleil de la journée s’engouffrent enfin dans la vallée pour lécher le toit de la ferme. À la fromagerie, le lait est transvasé à même une bassine recouverte d’un plateau de bois. Jakob pèse les fromages de la veille puis les fait tremper dans un bain d’eau salée. Il note également la quantité de lait du jour, ajoute la présure et prépare sa journée de travail. Pendant ce temps, Mathis se prépare. Il avale son petit-déjeuner vers 8H, remplit sa gourde d’eau et une pochette en tissu de 250 grammes de graines. Avant de s’installer, les deux frères ont dépensé près de 1 000 euros pour se faire des réserves d’amandes fraîches, de cerneaux de noix et d’autres graines de tournesol. Ils ont calculé que 250 grammes par jour devraient suffire pour tenir la saison. Et que 250 grammes de graines plus une pomme feraient amplement l’affaire pour le déjeuner. Ils ont également acheté des provisions pour le dîner et les affaires courantes et se font livrer un panier de légumes toutes les semaines. “Si ça se passe bien, on n’aura même pas besoin d’aller au supermarché de la saison” lance fièrement Jakob.
Mathis part vers 8h30 dans les alpages qui se dressent comme un tsunami vert juste en face de la maison. De la terrasse, on peut suivre Mathis, sa chienne Djinn et le troupeau grimper vers les hauteurs. “Quand je suis là-haut, j’écoute de la musique, je pense à ce que je vais faire cet hiver. Au début, on ne connaît pas le terrain, il faut être vigilant mais au bout d’un certain temps, je pourrais me mettre à lire un peu” raconte Mathis, son bâton de berger à la main et son sifflet autour du cou. Qu’il pleuve ou qu’il vente, Mathis doit rester là-haut, dans les alpages, afin que les chèvres mangent le maximum d’herbes grasses pour produire un maximum de lait. Plus la saison va avancer, plus les chèvres iront haut en altitude, jusqu’à faire le tour de la montagne, pour chercher la meilleure source de nourriture. Mathis passe environ 8 heures tout seul avec le troupeau et revient vers 16H30 pour effectuer la seconde traite de la journée. À son retour, son frère aura produit une quarantaine de fromages, astiqué la fromagerie et décrotté l’étable, nourri les petits cochons et se sera occupé de l’administratif car où que l’on soit, il y en a toujours.
Le sauvage et le farouche
Jakob économise pour s’acheter une ferme. Il voudrait s’installer dans la Drôme et devenir maraîcher. Il aimerait trouver un terrain pas trop isolé pour s’installer avec sa copine Charlie, fondatrice de la marque de vêtement Ségo-Ségo. Pour l’instant, il vit à Marseille et le reste de l’année opère comme livreur à vélo. “À Marseille, ce sont mes vacances, je ne travaille que trois jours par semaine.” plaisante Jakob. Mathis, lui, aime cette vie nomade et solitaire. À bord de son pick-up Volkswagen, il passe ses hivers en Scandinavie où il travaille à élever des chiens huskys. “Je ne suis pas prêt à m’installer” confie-t-il dans un large sourire.
Leur sœur Suzanne est également bergère l’été venu. Pourtant les Von Siebenthal ne sont pas une famille d’agriculteurs, enfin pas depuis très longtemps. “Il y a cinq ou six générations, notre famille faisait déjà des fromages dans les Alpes françaises » explique Jakob. L’attrait pour le pastoralisme est d’abord un attrait pour ce mode de vie contemplatif et spartiate. “Je trouve mon plaisir dans le dénuement” s’épanche Jakob d’un sourire doux qui tempère son propos monacal.
Les mœurs austères dont Jakob et Mathis font leur quotidien sont proprement le caractère d’un sauvage et d’un farouche. Le sauvage, c’est Mathis, ces yeux bleus, sa douceur autoritaire. D’une certaine manière, il se refuse à faire société et migre d’une saison à l’autre vers des paysages où l’homme est renvoyé à ses faiblesses et à sa solitude. “Je suis plutôt fortiche pour être tout seul et ne rien faire” plaisante-t-il. Le farouche, c’est Jakob. Il trace sa route avec détermination et une liberté d’esprit remarquable. Il y a chez ses deux frères et dans ce chalet quelque chose que l’on pourrait retrouver dans les livres de Nature Writing américain. Ils pourraient être deux cow-boys d’un roman de Larry McMurtry ou de Jim Morrisson, ce pourrait être le Montana. Ils sont deux Goat Boys, et ce sont les Alpes Suisses.
Zoé est sommelière à Chassignolles, en Auvergne. Hors saison, elle sillonne la France à la recherche du lieu idéal pour créer sa propre auberge. Reportage embarqué dans son auto lancée à travers la diagonale du vide.
Par Matthieu Le Goff.
La route étroite zigzague dans la montagne sous un pâle soleil d’automne. Devant nous, un SUV enchaîne les virages depuis une quinzaine de minutes. Notre petite voiture patine de plus belle. « Allez Titine ! T’as déjà fait l’Auvergne, c’est pas une petite montée comme ça qui va te faire peur ! » lance Zoé. Titine, c’est une Twingo Kenzo automatique. Pas étonnant qu’elle galère dans les épingles à cheveux mais peu importe, elle est comme ça Zoé, elle parle à sa voiture et n’a pas peur des raidillons. Encore quelques lacets et nous arrivons à un hameau perché. Au-dessus de la vallée, le pic du Canigou nous toise. Voilà trois jours que nous lui tournons autour sur les routes des Pyrénées-Orientales, au gré des visites de maisons dénichées sur Leboncoin.
LE VALLESPIR, L’ÂPRE VALLÉE
Du SUV descend Ludo, agent immobilier à Céret. Il s’apprête à nous présenter un imposant mas en vente sur les hauteurs de Prats-de-Mollo – prononcer moyo, nous sommes tout proches de la frontière espagnole, dans le Vallespir, une région qui doit son nom aux Romains, Vallis aspera, « la vallée âpre »… Ludo surjoue un peu le plaisir d’être dans les hauteurs, du grand air. Un chat rôde sur la terrasse ombragée par un grand arbre à kiwi. Nous faisons un petit détour par une dépendance où l’actuel propriétaire s’est retranché. La voix est pâteuse, le visage tiré. Une cuisinière ronronne dans une pièce désordonnée, ambiance survivaliste. Sur la table de l’entrée, une arbalète et des champignons sous vide. Zoé explique : « Je suis sommelière en Auvergne, et je souhaite monter ma propre auberge.» Le proprio ricane mollement. Lui aussi, c’était ça qu’il voulait faire. Gîte, balades à cheval, vente de champignons. Il s’assombrit. Le regard triste trahit un rêve englouti par la rudesse du coin, la crise sanitaire et la solitude. L’ambiance est plutôt lourde. Ludo, gêné, coupe court. Le proprio nous salue : « Si vous achetez, je vous filerai les coins à morilles. Moi, j’ai mis trois ans à les trouver.» On monte sur le terrain. Des chèvres viennent à notre rencontre. La beauté du paysage qui s’offre à nous semble presque vénéneuse. Zoé me lance un regard entendu : elle cherche un coin reculé, mais là, effectivement, c’est un peu âpre.
Le lendemain, direction la côte. On nous a parlé d’un hôtel Art déco face à la mer, à Cerbère, le dernier village avant l’Espagne. En route, Zoé réfléchit tout haut. Sur le papier, les Pyrénées-Orientales, c’était parfait : entre mer et montagne, des vins nature d’exception. Dans les faits, c’est trop loin de son réseau, de ses amis. Cette auberge, c’est un projet professionnel, mais aussi un projet de vie puisque Zoé compte y vivre. Ses critères sont encore un peu flous. Dans l’idéal, un joli coin, du cachet, une dizaine de chambres, une cave, un potager, du calme et de la vue. Pourquoi pas de quoi faire une résidence d’artistes, plus tard. L’inspiration, elle, est claire : l’Auberge de Chassignolles en Haute-Loire, une des étapes estivales les plus courues de l’Hexagone par les amateurs de bonne chère rustique et de vins libres. Zoé Boinet, presque trentenaire, y officie depuis deux saisons en tant que sommelière et manageuse. À la fois élégante et gouailleuse, tireuse d’élite du cépage rare, elle navigue de mai à octobre avec une gaîté enlevée entre les tables en plastique et les œnophiles cosmopolites. Mais nous voilà arrivés à Cerbère, au pied de l’Hôtel Belvédère du Rayon Vert. Le taulier, affable Catalan aux lunettes fumées, nous fait visiter l’incroyable bâtiment années 1930 style « paquebot » qui flotte littéralement au-dessus du village, offrant une vue plongeante sur la mer. L’hôtel tourne toujours, mais le patron commence à fatiguer. Zoé me glisse son idée d’y faire une auberge éphémère l’été prochain, pour se roder. L’espoir renaît. Pendant les fêtes, elle écrit une longue lettre au Catalan pour lui expliquer son projet. Pas de réponse. Au téléphone, l’homme est évasif, il ne se sent pas l’énergie. La déception est grande, mais Zoé n’est pas du genre à se laisser abattre.
LE BUGEY, J’AI BU
Début 2022, nous revoilà donc sur la route. Direction le Bugey, entre Jura et Savoie. Pour l’occasion, Zoé a chaussé ses santiags roses. Côté critères, elle a aussi fourbi ses armes. On élargit la recherche aux auberges en vente dans l’idée de reprendre un lieu chargé d’histoire, comme à Chassignolles, auberge sans âge du Livradois. L’importance aussi d’être proche de vignerons pour lesquels l’auberge serait un lieu chef de file. Le Bugey est idéal : beaucoup de jeunes s’y installent pour faire du vin, faute de trouver leur place dans un Jura déjà saturé, attirés par des prix bas et un terroir riche. Côté méthode, exit les visites aléatoires de maisons. En fins limiers de campagne que nous sommes devenus, nous allons attaquer le territoire par ses habitants, en particulier paysans-vignerons et piliers de comptoir. Dans les Pyrénées-Orientales, l’approche a fait ses preuves : on traverse un village, on s’y plaît, on baisse la vitre. « Bonjour Madame, il fait bon vivre ici ? » En général, la conversation est courte mais toujours fleurie de belles saillies. On se quitte sur un sourire, ou un air dubitatif du genre «Ah, ces Parisiens!» Qu’importe, on renifle le pays, et ça, c’est essentiel.
Sur la route, pause dans le Morvan pour éprouver la tactique. Visite d’une institution connue pour sa tête de veau sauce gribiche, L’Auberge Ensoleillée, à Dun-les-Places, qui est en vente. La patronne nous reçoit dans la salle à manger déserte, le fils nous rejoint rapidement, sourcilleux cuistot gardien de la tradition familiale. D’abord défiante, l’écoute se fait curieuse quand les cochons et la charcuterie maison de Chassignolles sont évoqués. L’ambiance tourne au patronage. Émouvante rencontre entre l’immémorial modèle de l’auberge de pays et un projet d’aujourd’hui. Deux tournées de bière du Morvan plus loin, nous repartons avec une bouteille de santenay 1er cru et l’intégralité des cartes touristiques de la région.
Le bouche-à-oreille, c’est la clé. Ce n’est pas ce couple de vignerons trentenaires, chez qui nous dînons dès notre premier soir dans le Bugey, qui dira le contraire. Zoé a rencontré Chloé et Jordan, du domaine Tailleurs-Cueilleurs, quelques semaines plus tôt lors d’un salon dans le Loir-et-Cher. Tombés amoureux de la région, ils ont labouré méthodiquement le coin dans le secteur de Jujurieux, à une trentaine de kilomètres au sud-est de Bourg-en-Bresse. Après le dîner, direction le chai pour goûter leur tout premier millésime, très prometteur. Ils nous invitent à passer le week-end avec leurs amis alsaciens qui débarquent pour une Flammküch’ party dans le four communal, ça promet. Pour l’heure, le Bugey nous attend. Durant plusieurs jours, nous arpentons le massif, de clochers en bistrots. Les gorges de l’Albarine, Cerdon, Oncieu et son auberge, que l’on traverse dans la fumée des clopes et le tintement des glaçons dans les verres de Suze. Nous tirons un doyen d’université lyonnais de son étude pour une visite de l’Auberge des Remparts, à Poncin, une ancienne maison seigneuriale, escalier d’époque, une vingtaine de chambres. Il n’est pas pressé de vendre, mais Zoé l’intrigue. « Il faut avoir les épaules solides, c’est une grosse affaire… » Zoé ne se démonte pas, mais nous passons notre chemin : les anciens sur leur paquebot vide, on a déjà donné. Ce qu’il nous faut, c’est de l’inspiration. Ça tombe bien, nous sommes attendus dans le sud de la région par François Grinand, pionnier du vin nature dans le Bugey. Le regard est doux, la voix chaude et traînante. Visite des vignes et du chai à pied, puis retour chez lui avec une bouteille. Sur la table, les œuvres complètes de François Villon et, dans le fond de la pièce, un clavecin. C’est que François est pianiste de formation. Il décrypte pour nous la carte géologique de la région. Nous notons des noms de villages et méditons sur la suite de notre périple. François, lui, s’est installé au clavecin, et il interprète de ses mains de vigneron-pianiste un morceau de musique baroque.
Notre exploration du Bugey se poursuivra comme ça, entre villages consciencieusement arpentés et lumineuses visites vigneronnes. Tous déplorent le manque d’un lieu phare, « où l’on pourrait bien boire ». La cause sortira même Antoine Couly de son maquis, un des plus talentueux néo-vignerons du Bugey d’ordinaire peu porté sur les mondanités. Il nous reçoit à la tombée de la nuit, devant une écurie transformée en chai aux allures de repaire mafieux corse. On discute en goûtant à ses barriques, comme des bombes prêtes à exploser en bouteilles.
LE REVERMONT, LE «BON PAYS»
Sur cette terre de passage, nous avons localisé de nombreuses auberges abandonnées. Mais ces lieux sont décevants. Ils ont été ouverts à l’époque d’un tout autre rapport au voyage et à la vitesse. Depuis, ces routes ont grossi, les nuisances sonores et la pollution avec elles. Aujourd’hui, ces sentinelles endormies du savoir-accueillir à la française font pâle figure au pays de Brillat-Savarin. Côté comptoir, on en apprend de belles. Comme sur ce resto au moulin de Charabotte, tenu encore récemment par une femme appelée La Blanche, « à l’ancienne, avec les poules entre les tables », nous souffle un bistrotier du côté de Tenay. Le lieu est beau mais encaissé, et un peu glauque pour tout dire. Oui, il faudra du temps. Mais les paysages, la proximité du Jura et l’élégance du terroir semblent avoir convaincu Zoé.
Alors que je mène Titine à vive allure vers une ultime visite de maison, Zoé reçoit un coup de fil qui la chamboule. Une rupture amoureuse s’annonce. Elle raccroche au moment où je me gare devant une jolie longère jurassienne, dans un hameau au nom prémonitoire : Graye – prononcer graille. Pour Zoé, pas question d’annuler la visite. Sur le pas de la porte, un chat à trois pattes nous scrute au pied d’un noisetier tortueux, « l’arbre favori » de Jacqueline, la proprio. Durant l’heure qui suit, l’atmosphère se détend. Les fenêtres encadrent les douces collines du Revermont. Zoé demande s’il y a une cave. Jacqueline ouvre alors une grande trappe dans la salle à manger. L’antre est spacieux et, surtout, taillé à même la roche, dont les stries obliques dégagent la force tellurique.
Nous repartons à travers ce coin de France que les anciens appellent le « bon pays » en raison de son relief doux. Zoé me confie qu’elle a été touchée par le lieu. Notre quête peut provisoirement se terminer sur cet accord inattendu, une tempête de la vie et un lieu qui apaise. Sans doute une belle définition d’une auberge : contre les difficultés de la route, la chaleur d’un refuge.
Des élans qui portent des moufles à la place des bois, des skieuses sur des épines de pin, des saphirs dans les rivières de France et même des pistaches qui prennent six ans à apparaître. Jean Rolin de retour sur la limite entre la ville et la campagne. Alice Moireau sur un bateau, les séchoirs abandonnés puis retrouvés par Jamie Hawkesworth. Daniel de la Falaise qui fait le marché, la guerre de l’eau est déclarée, le vin corse est tiré. Robin Le Forestier, son pinceau, ses couleurs et son chevalet mais aussi des adresses où s’arrêter pour boire ou manger. REGAIN a cinq ans, le monde a bien changé. Y’a plus de saisons, il y a encore de l’ambition. Le journal de toutes les campagnes fait la part belle aux aspérités, aux rêveurs et aux initiés. Un numéro désopilant et engagé.
La mare des canards et l’océan atlantique. Une vedette de la chanson française, Véronique Sanson, et un couple de jardinier-paysagiste, vent debout, ensemble, pour un projet agricole au cœur du Vexin. Un journal alternatif, l’Empaillé, à l’assaut des bars d’Occitanie. Des cartes postales envoyées ou en passe de l’être. Les rêves des animaux et les mots de la philosophe. Une randonnée en zone péri-rurale et sur la planète Mars, des fleurs de printemps et de quoi aiguiser ses couteaux. Des déguisements découverts au lever du jour dans une vallée suisse loin de l’agitation du monde, le village du Diois de l’écrivaine Louise Chenneviere et des constructions de bois sans clous ni vis pour se mettre au bricolage selon les principes du Froissartage. Une nouvelle rubrique prescriptrice, Dernier Cri., avec des poires tapées et du rosé de saignée. Et toujours, le marché à 15 balles, cette fois avec le chef Maxime Delalande, la Star Locale du bédéiste Théophile Sutter, le flash de campagne et ses informations surprenantes. Ça bouge dans toute la France, c’est l’heure du réveil et des pas de côté. L’heure des espoirs de libération, des progrès économiques, des avancées sociales et des envies créatrices. C’est le printemps !
La chanteuse Cléa Vincent au piano en Bourgogne, des cochons recouverts de laine, des raisins séchés sur la paille, du bois pour des chalets, du vin allemand et des éoliennes, des kakis comme des pommes, une célèbre cheffe du hall of fame, des ascètes italiens, du théâtre, des appeaux à oiseaux, des ploucs, des films d’Alain Guiraudie ou des bouillons d’os du Pays-Basques. Dans un climat parfois morose, le dix-neuvième numéro de Regain prépare vaille que vaille la nouvelle année en beauté et en fanfare. Une célébration riche en couleurs et en créativité d’un monde rural en pleine ébullition.
Cet automne, Regain réveille les sens. Il y a les couleurs chatoyantes des bouquets de fleurs des shows anglais, les flammes brûlantes du four à pain, les raisins frais de la dernière station uvale de Marseille. Il y a aussi les odeurs de cuisine du marché de Saint-Briac, d’une nouvelle auberge au cœur du Loiret ou d’une mangerie locale et familiale dans la Sarthe. On boit du vin puis on lit des livres (ou inversement, ou les deux ensemble) avec Louis et Charlotte Pérot de L’Ostal Levant et l’on discute le bout de gras à table avec les vendangeurs au domaine Boesch, en Alsace. On écoute le son des fleuves et des rivières autant que le froissement des battements d’ailes de chauve-souris dans l’obscurité d’une grotte de l’Ariège. Et puis on part en balade, à la découverte d’une montagne magique ou le long des routes Corse, en évitant les vaches sauvages ou en découvrant des inscriptions rupestres. On cultive la grande berce, on construit son four à pain, on s’émerveille des œufs de poule. L’été se meurt, vive l’automne !
Cet été, Regain se déguste au soleil. Prenez-donc un peu de banon, ce fromage de chèvre de Provence ! Et accompagnez-le d’une rasade d’eau-de-vie de poire prisonnière ! La marche digestive se fera dans les Alpes suisses, aux côtés du troupeau des frères von Siebenthal. Et on troquera la voiture pour une monture au Cheval Vapeur, ancienne station-essence devenue curiosité dans la Drôme.
Si la pêche n’est pas bonne, on écoutera le bruit du ruisseau. Et on écoutera aussi d’autres paroles moins prosaïques : celles d’étudiants d’Agro Paris Tech qui appellent leur génération à bifurquer. En donnant du sens à leur avenir, en ne collaborant plus avec les entreprises polluantes et climaticides.
Il y a bien quelques jeunes qui ont déjà pris ce nouveau chemin : on rencontrera dans ces pages les fondateurs de La Ferme Sans Nom et leur formidable reconquête de la semence paysanne. Et entre deux aquarelles du dessinateur Philippe Dumas, on s’émer- veillera du rouge des pivoines du Var… quel programme !
Le printemps est enfin arrivé ! Dans ce numéro, l’anthropologue Charles Stépanoff confronte les écolos au paradoxe de leur rapport à la violence alors que le chef Florent Ciccoli relève le défi de cuisiner un menu complet pour quatre personnes à moins de quinze euros. Ici, de jeunes volontaires luttent contre le déclassement des villages, là une éleveuse invente l’abattoir à la ferme pour les animaux et par éthique. Tandis que, aux portes du Luberon, la zone à patates s’oppose à la bétonisation.
Les pêcheurs à la mouche rêvent de poissons sauvages et de rivières propres. Le no kill, une pratique au plus proche de la nature, convainc une nouvelle génération soucieuse de l’environnement.
Par Victor Coutard. Photographies Léon Prost.
« Allo, bonjour, vous êtes bien sur le portable d’Olivier Masmonteil, je suis en train de peindre ou à la pêche, vous pouvez me laisser un message. » Pour ceux qui la pratiquent, la pêche à la mouche est souvent bien plus qu’un hobby. Une vraie passion qui pousse les aficionados à voyager à la recherche des meilleures rivières et, sur ces rivières, à partir en quête des meilleurs spots. « La pêche à la mouche est mon deuxième travail », rigole Olivier Masmonteil, artiste peintre français connu pour ses paysages et ses palimpsestes pictu- raux. Pour admirer le geste et prendre un cours d’initiation halieutique, rendez-vous est donné Moulin de Chaise-Dieu-du-Theil, un parcours de pêche clos sur 3 km de rivière situé dans l’Eure, en Normandie. Sous un soleil radieux, nous retrouvons Olivier entouré de sa compagne, Émeline Aubry, cheffe privée demi-finaliste du championnat du monde de pâté en croûte, et d’Amandine Chaignot, cheffe du restaurant Pouliche à Paris. Si Olivier et Émeline ont souvent pêché ensemble et aux quatre coins du globe, pour Amandine comme pour nous, c’est une première.
10 HEURES, 10 H 10
Équipé de lunettes polarisées pour mieux voir les poissons dans l’eau, d’un gilet à poches, de bottes montantes, d’une épuisette et, bien sûr, d’une canne, Olivier Masmonteil choisit ses mots pour transmettre son amour de la pêche. Il existe tout un vocabulaire d’initiés : on parle de « pêcher l’eau » quand la rivière est trouble, de « streamer » pour l’imitation d’alevin ou encore de tricot pour l’action consistant à ramener le fil, pardon, la soie, par tirées successives. Le matériel de base est constitué de cinq éléments : une canne en carbone ou, pour les puristes, en bambou, aussi appelée « fouet ». Un moulinet qui joue à la fois le rôle de réserve de fil et de frein en cas de combat avec un gros poisson. Une soie, fil synthétique ou originellement, comme son nom l’indique, en soie, dont le poids et l’épaisseur servent à propulser la mouche au moyen du lancer dit « fouetté ». Un bas de ligne, fil de nylon communément appelé « queue-de-rat », qui fait la transition entre la soie et la mouche. Et donc, la fameuse mouche, qui imite un insecte (la mouche imitative) ou qui provoque, par son animation et ses couleurs, un réflexe d’agressivité du poisson (la mouche incitative). Ces cinq éléments connaissent d’infinies variations dont chaque pêcheur garde le secret. «Tu choisis ta canne et ta soie par rapport aux conditions climatiques. Tu sélectionnes ta mouche en fonction de ce que tu crois que le poisson veut manger… ce qui dépend aussi des conditions climatiques. C’est au feeling », détaille Olivier.
Plus que des mots, la pêche à la mouche est avant tout une question de mouvement. «Toute la difficulté est de lancer loin une mouche qui ne pèse rien. On est aidé dans cette entreprise par une soie qui est plus lourde que l’air.» Un beau lancer consiste à faire croire au poisson que la mouche est bien réelle. Il s’agit donc de déposer celle-ci au bon endroit, délicatement et avec un minimum d’éclaboussures. D’une main, Olivier tient sa canne, de l’autre il donne du lest à la soie. « Il faut réaliser un mouvement ample : 10 heures, 10 h 10. » La soie s’envole au-dessus du pêcheur et trace dans l’air de grands « S » aussi sonores qu’élégants. La mouche doit atterrir au niveau du poisson, dans son champ de vision. Le pêcheur « anime » alors le leurre en tirant à lui la soie de sa main libre. Une fois le poisson mordu à l’hameçon, le pêcheur doit le ferrer en donnant un coup sec à la ligne. Olivier devance notre question embarrassée. « Selon de récentes études, il n’y aurait pas de terminaisons nerveuses dans la bouche des pois- sons, mais surtout du cartilage. Si le poisson avait mal, il ne se débattrait pas autant.» Une fois le poisson ferré, le pêcheur fatigue l’animal, le remonte à la surface et l’accompagne doucement
jusqu’à l’épuisette à moitié immergée. Délicatement, le moucheur ôte l’hameçon de la gueule du poisson, prend une photo et… le libère aussitôt.
La pratique du no kill fut développée au siècle dernier par les pêcheurs sportifs américains. Elle consiste à relâcher vivants les pois- sons capturés. De plus en plus courante, cette « graciation » est plébiscitée par une jeune génération pour laquelle la pêche à la mouche est à la fois une activité de pleine nature, un loisir et un sport. Une nouvelle génération à la conscience écologique qui souhaite préserver les réserves halieutiques et affiche son respect pour les poissons. Le discours des pêcheurs est néanmoins modéré, la pratique du no kill n’est pas sans risque pour les animaux et implique une philosophie de pêche que tous les moucheurs ne partagent pas encore. « Ce n’est pas anodin de prendre un poisson, explique Olivier. Il y a des précautions à prendre avant de le manipuler : se mouiller les mains, par exemple, afin de ne pas abîmer la couche de mucus qui le protège des attaques de champignons et des bactéries pathogènes.» Quelques lancers plus tard, il confie : « J’ai eu de grandes engueulades avec d’autres pêcheurs. La technique du no kill sert parfois de cache-sexe à une pratique sportive qui consiste à “scorer”: à attraper le maximum de poissons. Il faut s’autodiscipliner. Par exemple, je pêche moins en juillet et en août, car les poissons ont chaud et sont fatigués. » Aujourd’hui, seuls 5 % des rivières françaises seraient en bonne santé, principalement dans la Creuse, en Corrèze et dans les Pyrénées. Envahies par les espèces invasives (l’écrevisse américaine, le silure ou encore le cormoran, qui pêche de plus en plus loin de sa zone d’habitat), elles se vident de leurs poissons alors que les barrages empêchent les migrations des saumons et des anguilles. Mais le gros des dégâts provient de l’agriculture inten- sive, qui pollue l’eau et assèche les réserves. « La rivière est le témoin de la santé écologique d’une vallée. Si les poissons ont une mycose, c’est qu’il y a pollution. Si l’eau est trouble, c’est qu’il y a eu déforestation… » plaide Olivier.
Pour tenter d’enrayer la destruction des rivières, certains pêcheurs militent pour un système de jachère sur trois ans. La première année, on entretient la rivière, la deuxième on la laisse tranquille, la troisième on pêche. Toutes les études le montrent, la meilleure manière de protéger les poissons, c’est de sauvegarder leur habitat naturel : des berges propres, des graviers nettoyés et des herbiers, essentiels garde-manger piscicoles, multipliés. « L’intérêt du pêcheur, c’est d’avoir les rivières les plus sauvages possible pour pêcher des poissons les plus sauvages possible », insiste Olivier, qui mise sur l’existence d’une véritable prise de conscience écologique des moucheurs. « Nous fûmes parmi les premiers à nous émouvoir du sort des rivières et à s’apercevoir que les insectes disparaissaient.» Il confesse avoir pleuré de tristesse quand il s’est aperçu que la rivière dans laquelle il pêchait enfant dans l’Aube était désormais à sec. Comme tant d’autres, elle avait été abandonnée.
UN MOMENT DE DÉTENTE SUBLIME
Moulin de Chaise-Dieu-du-Theil, le reflet de l’eau sur le tronc des arbres, le bruit des flots et l’onde furtivement laissée par un poisson surgissant à la surface de la rivière appellent à la quiétude. Le parcours de pêche clos pourrait être comparé à un practice de golf. Les meilleurs s’y entraînent, les petits nouveaux y viennent apprendre. Ici, on pêche toute l’année des poissons d’élevage stériles dans l’eau claire de la rivière Iton, qui arrose notamment la ville d’Évreux. Chemise saumon et bretelles accrochées aux épaules, Monsieur Jean Pucci, propriétaire des lieux, se réjouit de voir disparaître l’aspect élitiste qui collait à la pêche à la mouche en même temps qu’augmente le nombre de pratiquants. « La pêche est un moment de détente sublime, on est vraiment en contact avec la nature. C’est à la fois une pratique solitaire et conviviale : on pêche seul et on se retrouve entre amis pour le casse-croûte.» Dans le bar qu’il a aménagé au milieu de la propriété, les vitrines regorgent de mouches de toutes formes et de toutes couleurs. « Il y a une vingtaine d’années, on avait touché le fond… On a laissé tomber des rivières », raconte Mon- sieur Pucci avant de conclure, flegmatique: «Vous savez, jeune homme, quand on est vraiment pêcheur, quand on aime la nature, on est forcément écolo.»
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